dimanche 28 novembre 2010

L'économie sociale et solidaire, une alternative à la crise ?

J'ai été invitée à m'exprimer sur l'ESS au Lycée Laffemas de Valence, dans le cadre des Rencontres solidaires de la Région et du mois de l'économie sociale et solidaire. Une émission avec des étudiantes en  BTS "Assistant Manager" (bigre !) organisée par Radio Mega, suivie d'une table ronde  devant environ 80 personnes avec Manuel Domergue, d'Alternatives Ecos (qui est une SCOP), avec lequel je dois dire qu'on a formé un joli duo je trouve. Étaient également présent JM Creisson en tant qu'élu de Valence, qui remplaçait le maire PS Alain Maurice, et M Prudhomme de l'UIMM à la place du représentant annoncé du Medef local. Hmmm.

Je m'attendais à un exercice compliqué, entre discours d'élue représentante de la Région et revendications de militante, face à des lycéens, dans un cadre d'éducation populaire... En fait les lycéennes qui ont introduit le débat (avec sérieux et une belle implication, au passage, bravo) m'ont facilité la tâche en me présentant comme Conseillère régionale, mon "tout premier mandat", mais aussi secrétaire nationale et militante du PG ;) J'ai senti de la sympathie chez ces jeunes et c'était vraiment un chouette moment.

Plus que dans le discours du représentant de l'UIMM, mais cela n'est guère étonnant. Celui-ci a introduit son propos en disant que naturellement avant de venir il avait selon l'usage été voir sur Wikipedia ce qu'était l'ESS et n'en a retenu que la formule "un homme = une voix", les SCOP fonctionnant pour le reste selon lui comme une entreprise tout ce qu'il y a de plus normal. Et rappelant aux lycéens présents qu'ils avaient de fortes chances d'atterrir chez Thalès plutôt que dans l'ESS. Autrement dit, inutile de perdre votre temps avec ces fadaises, quoique dit de manière à peine plus soft. On a tenté de lui démontrer que l'ESS allait bien au-delà en termes d'alternatives, sans pour autant fermer les yeux sur les limites et les dérives possibles de l'ESS. Et quand il nous a fait valoir que la centrale d'achats de Leclerc était une coopérative, Manuel Domergue lui a gentiment rappelé la différence entre coopérative et SCOP.

Tout ceci n'a pas empêché le débat de se faire sur de bonnes bases, bien au contraire ça l'a même un peu pimenté, enfin un vrai échange contradictoire ! Et nous avons eu des moments très intéressants, y compris sur les différences entre capitalisme, libéralisme et économie de marché. Un vrai débat politique en somme, loin de la gestion locale dans laquelle certains aimeraient cantonner les élus.

J'ai rappelé que le Front de Gauche avait porté pendant la campagne des régionales l'idée d'une banque publique régionale pour aider à la reprise d'entreprises par les salariés. Que les résistances à la libéralisation et aux attaques contre les associations relevaient autant des élus que des travailleurs et des citoyens eux-mêmes. Et lourdement insisté sur la directive Services et les traités actuels de l'Union européenne qui empêchent toute politique publique en faveur de l'ESS qui introduirait une "distorsion de concurrence" sur le marché des entreprises classiques.

Je suis allée piquer des morceaux d'ESS chez mon camarade François Longérinas, j'ai révisé mes fiches Utopia et la préparation de cette table ronde m'a permis de me plonger dans la nouvelle vague à la mode de l'"entrepreneuriat social" -tout près du nouvel oxymore "capitalisme coopératif" de M Montebourg- qui est à l'ESS ce que le capitalisme vert est à l'écologie... Chouette, un nouveau front de lutte idéologique (pas grave, on est pas fatigués ;)

Voici ce que j'avais préparé et que j'ai à peu près suivi dans mes réponses aux questions, en guise de synthèse de ce que j'ai raconté hier soir. On remet ça quand vous voulez (et vive la jeunesse !)

L'ESS, une alternative à la crise ?

Merci de votre invitation sur ce sujet. En tant qu'élue je suis heureuse de voir que l'éducation populaire et l'ESS sont des sujets portés par la Région par le biais notamment des rencontres solidaires qui se déroulent en ce moment un peu partout en Rhône Alpes.

C'est d'autant plus important que nous nous trouvons dans un contexte d'attaque frontale du gouvernement contre les associations du secteur social, culturel et de l'éducation populaire. La liberté d’association est pourtant un droit fondamental inscrit dans la déclaration des Droits de l'Homme. Pas selon la circulaire Fillon du 18 janvier dernier, qui assimile l'action associative à une activité économique, relevant donc de la “concurrence libre et non faussée”. Du coup, elle redéfinit les modalités de financement des associations au regard de la directive européenne dite « Services » (le retour de Bolkestein). De ce fait, les subventions aux associations, tant des collectivités que de l'Etat, ne sont plus autorisées, à partir de 66 000 euros par an, que dans le cadre de la « compensation d’obligations de service public » pour ne pas fausser la concurrence avec des entreprises qui se développeraient dans le même secteur, comme par exemple l’aide aux devoirs. Et c'est ainsi que la logique de marchandisation continue à gagner du terrain, bien loin de l'intérêt général.

Heureusement la résistance s'organise. Un appel « Non à la remise en cause des libertés associatives » a été lancé fin avril. Un recours en Conseil d'État a été déposé pour excès de pouvoir. Un Collectif des associations citoyennes s'est créé en juin. Certains élus ont décrété le territoire de leur collectivité « hors directive Services ».

Et puis, il y a l'économie sociale et solidaire, avec tous ses atouts - et aussi ses limites... L'ESS en Rhône Alpes, c'est 23,000 assos, coopératives et mutuelles et ça représente 230,000 salariés (10% de l'emploi régional). Cela va bien au-delà de l'insertion, comme on le croit encore trop souvent. Il s'agit plus largement de combiner démocratie sociale, développement économique et utilité de la production (et impact environnemental, qui est de plus en plus présent dans l'économie solidaire, mais pas encore tellement dans les SCOP). C'est un autre rapport au travail, qui peut interroger jusqu'aux conditions de travail elles-mêmes et engager la réappropriation des moyens de production. C'est une autre implication, de l'éducation populaire sur le lieu de travail, de l'émancipation. Voilà tout le potentiel de l'ESS. Et notamment des SCOP dont on a peut être moins parlé aujourd'hui où il y avait 3 ateliers sur les services à la personne, les AO publics et la finance solidaire. Les SCOP, ce sont les Sociétés coopératives et participatives (et non plus ouvrières de production, ça fait sans doute plus moderne, hélas, moi j'aimais bien ;) Un sujet que le récent film « Entre nos mains » de Mariana Otero a popularisé, mais qui remonte à loin. Déjà le Conseil national de la Résistance appelait au développement des coopératives et à l'instauration d'une véritable démocratie sociale et économique !

Aujourd'hui, en France il existe quelque 2,000 entreprises Scop, employant 40,000 personnes dans des secteurs d'activités très différents. Développé au départ au XIXe siècle dans l'industrie, l'imprimerie et le bâtiment (qui représente encore 20% des Scop), le statut de Scop s'est fait une nouvelle jeunesse ces quinze dernières années, notamment avec les services à la personne (nettoyage, jardinage...). Le modèle des Scop repose sur trois principes démocratiques:

- un maximum de salariés (les sociétaires, qui en général investissent environ un mois de salaire dans le capital) doit possèder au moins 51% du capital. Ils élisent le patron en assemblée générale, approuvent les comptes, discutent les orientations stratégiques.

- quelle que soit la somme investie dans le capital, une personne = une voix.

- quant à la répartition des bénéfices, au moins un quart des bénéfices annuels est reversé aux salariés, qu'ils soient sociétaires ou non. Et ce sont les salariés qui votent la répartition des bénéfices.

Ainsi, les profits ne vont pas chez des fonds de pension outre atlantique mais dans les poches de celles et ceux qui font gagner de l'argent à la boite par leur travail. Et les écarts de revenu sont de fait de 1 à 4 pour les plus petites, 1 à 8 pour les moyennes (au lieu de 1 à 35 dans les entreprises classiques).

Alors quand on parle d'alternative à la crise, voilà déjà un premier élément de stabilité économique par rapport à la spéculation boursière et à la crise financière. Les SCOP ont d'ailleurs mieux résisté que les autres entreprises à cette crise. Elles ont aussi été utilisées en Argentine, où un projet de réforme de la loi des faillites en faveur des travailleurs autogérés est en discussion au Congrès de la nation. Car la reprise d'entreprise par les salariés sous forme coopérative est aussi parfois une alternative aux licenciements et aux fermetures. Cela a été le cas, près de chez nous, de Ceralep à Saint Vallier, reprise il y a deux ans. Une belle réussite grâce au soutien des habitant-e-s et des salarié-e-s. Des emplois créés, la boite fonctionne bien, elle est même citée en exemple dans le réseau rhonalpien... Ils étaient 53 lors de la reprise, 61 aujourd'hui. Tous actionnaires, tous conscients de la valeur de leur travail et fiers de leur réussite. Et il y a de quoi. C'est aussi le cas d'Alternatives Ecos et de la Scop le Navire, représentées ici par Manuel Doumergue et Jean Haffner qui pourront nous dire ce qu'ils en pensent.

Parce qu'il ne faut pas non plus être angéliste. Tout n'est pas toujours rose dans les SCOP, et ça ne marche pas à tous les coups. D'abord, la reprise sous forme de SCOP n'est pas toujours la première préoccupation des travailleurs quand ils sont face à l'urgence de la crise et de perdre leur emploi. Ensuite, ça reste une entreprise avec des objectifs chiffrés, des consignes à suivre et bien souvent une hiérarchie. SCOP ne veut pas forcément dire autogestion. Et puis, même l'ESS connait ses propres dérives. Ainsi, on entend de plus en plus souvent parler d'entrepreneuriat social. C'est une nouvelle vague d'entreprises ou d'associations qui mettent en avant leur finalité solidaire mais sans se soucier au fond du fonctionnement des structures, ni de la place réelle des usagers et des sociétaires dans les processus de décision. Et ne vont donc pas jusqu'au bout du potentiel de la SCOP en termes d'alternatives face au système actuel. Voire ne s'émeuvent pas de voir des associations et des coopératives exploiter leurs salariés comme le ferait n'importe quelle entreprise capitaliste classique. Enfin, il y a la question de la taille. La moitié des Scop compte plus de dix salariés, mais 9% dépassent les 50 employés. Chèque Déjeuner, par exemple, qui compte 1800 salariés. Et plus c'est grand, plus la prise de décision démocratique et collective devient compliquée. En tout cas, ça s'organise autrement que par des AG...

En conclusion, l'ESS n'est pas le remède universel, mais elle peut être une des pistes d'alternative à la crise, oui. Et au système libéral et capitaliste qui a engendré cette crise. Il ne s'agit donc pas de sombrer dans l'angélisme mais de voir ce que ce modèle apporte et de le favoriser par des politiques publiques et le soutien des collectivités, CCI etc. En ce qui me concerne, je porterai cette exigence au sein de la Région.

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