mercredi 24 octobre 2012

Yachts : en finir avec les « bronze culs » de l'Europe !

bansky_pirate.jpgAh. Un petit coup de gueule sur les yachts. Ça faisait longtemps.

Celui-ci est extrait du livre collectif « Terres de Gauche, abécédaire des radicalités concrètes »  auquel j'ai contribué avec mon ami et camarade Gabriel Amard. La proposition que j'y développe: lutter contre la transformation de nos ports en espaces privés pour yachts d'ultra-riches, redonner aux ports de marchandises leur vocation industrielle et défendre le bien commun que sont nos côtes, plages et accès maritimes.

Illustration : Bansky

Le Port Autonome de Marseille a petit à petit été vidé de sa vocation industrielle de transport de marchandises pour faire la place à des yachts et bâtiments de croisière de plus en plus gros, cédant au gigantisme et à un tourisme de luxe. C'est ce qui amène aujourd'hui les Dockers de Marseille et la CGT Portuaires à parler de « bronze-cul de l'Europe » et à ouvrir le débat sur la planification écologique avec une réindustrialisation sur de nouvelles bases et le développement de plateformes multimodales : ports, fleuves et rail, même combat !

Sur la côte Méditerranéenne toujours, près de Cannes, c'est un projet d'agrandissement de l'entrée d'un port de plaisance qui a été défendu en 2010 par la municipalité de Mandelieu la Napoule pour pouvoir accueillir des megayachts, véritables immeubles flottants d'ultra-riches pouvant atteindre 50 mètres de longueur et 15 mètres de haut ! Et ce, juste en face d'une petite plage familiale, gratuite et populaire. La ville d'Antibes Juan les Pins a eu, quant à elle, le triste privilège de compter parmi les innombrables yachts battant pavillon de complaisance (Iles Caïman) le bateau de l’escroc Bernard Madoff. Un autre escroc, Tony Hayward, patron de BP, en pleine catastrophe du Golfe du Mexique tandis que le puits creusé par sa firme crachait depuis deux mois jusqu'à 9,5 millions de litres de pétrole par jour à 1500 mètres de profondeur, participait lui au même moment à une course de yachts, dont le sien, « Bob ». Quand on sait que la consommation d'un yacht "normal" (de 40 mètres et 6000 chevaux) est de 1.2 tonne/heure en navigation et 40 litres/h à l’arrêt, on est à la limite du conflit d'intérêt pour un pétrolier...

Mais cela peut aller bien plus loin. Élu "yacht de l'année 2011", le dernier bijou du milliardaire russe Roman Abramovich baptisé "L'Eclipse", avec une vitesse maximale de 25 nœuds, doit siroter beaucoup plus que ça. Une gabegie énergétique en rapport avec son gigantisme : 162,5 mètres de long, lui interdisant même l'amarrage au « quai des milliardaires » d'Antibes ! Mais il faut bien ça pour accueillir, selon les rumeurs : un système de défense anti-missiles, un accès à un mini sous-marin trois places, une protection laser lâchant des éclairs vers les appareils des paparazzis, des cabines équipées de vitres pare-balles, une piscine transformable en boîte de nuit et une cheminée extérieure pour les nuits fraîches... Le coût ? Entre 500 et 800 millions de dollars.

Ne soyons pas chiens. Crise écologique aidant, même les plus riches peuvent avoir envie de s'acheter une bonne conscience environnementale. Flairant là un marché de niche, Hermès a ainsi lancé le yacht pour « milliardaires responsables, rêveurs et peu pressés » (sic). Vitesse limitée à 14 nœuds, capacités de contemplation illimitée. Ah ! regarder l'océan, se laisser porter et doucement envelopper dans ses pensées, loin du monde et de ses ravages... 3400 m2 habitables, le yacht est prévu pour 12 passagers et 20 hommes d'équipage ou de service, pour un montant de 150 millions d'euros. Ça fait cher, certes, mais c'est le prix de la couche de peinture verte, celle qui permet d'oublier tous les vices et de remettre à zéro les compteurs de l'outrance : 900 m2 de panneaux solaires thermovoltaïques, "assurant une consommation de fioul inférieure de moitié à celle d'un yacht similaire". Et il est prévu "la mise en place d'une voile de propulsion géante fonctionnant comme un cerf-volant (le Skysail mis au point par une firme allemande)". Ouf.

Le yacht représente le point culminant de l'arrogance d'une oligarchie dorée. L'acmé de ce mode de vie fondé sur une logique d'accumulation matérielle, érigé en modèle par la publicité et les médias à grands coups de bling bling, de Rolex, de jets et de yachts dorés. Aujourd'hui, les 20% les plus riches consomment plus de 80% des richesses de la planète, les 20% les plus pauvres doivent eux se contenter d'un minuscule 1,6% ! Comme l'a très bien expliqué Hervé Kempf dans son livre « Comment les riches détruisent la planète », la rupture écologique ne se fera pas sans justice sociale. Le grand écart des disparités de revenus est non seulement la cause de grandes inégalités sociales mais également la cause du renforcement d'une classe de riches, gaspillant et détruisant, par des consommations de loisir de luxe, les ressources de la planète. Entre le mode de vie des plus riches et l'exploitation des travailleurs et de la planète, ce sont les mêmes mécanismes à l’œuvre. La révolution écologique sera donc sociale ou ne sera pas.

Socialement indécent et écologiquement nuisible, ignorant superbement le pic de pétrole, le yacht est un beau symbole du mépris des plus riches pour tout ce qui les entoure, misère, injustices, raréfaction des ressources et pollutions. Pour lutter contre l'invasion des intérêts privés et leur tentative de putsch sur l'intérêt général, voilà ce que pourraient faire nos élus :

  • Refuser les opérations d'agrandissement de ports de plaisance en vue d'accueillir des navires de plaisance privés de grande taille (yachts), et a fortiori toute aide publique destinée à de tels projets d'intérêt privé contraire à l'intérêt général.

  • Revendiquer la gratuité d'accès aux plages, côtes, accès maritimes, leur caractère public et la préservation des espaces naturels côtiers.

  • Relancer la vocation de transport de marchandises et l'intermodalité des ports industriels.

  • Appuyer au niveau national la création d'un Revenu maximal autorisé, la gratuité des premières tranches de consommation d'électricité et d'eau appuyé sur une forte taxation progressive des sur-consommations afin d'enrayer le mésusage, l'abrogation de niches fiscales néfastes pour la planète (exonérations de taxe intérieure sur le kérosène des avions ou le gazole de certains véhicules sur route, ainsi que sur les agrocarburants), l'instauration de mesures fiscales permettant le financement de la conversion écologique de l'économie et l'introduction de taxes écologiques ciblées : taxe carbone kilométrique aux frontières sur les importations comme sur les exportations, taxes sur les publicités imprimées et les spots publicitaires audiovisuels...

  • Singulièrement concernant les yachts : défendre l'abrogation du dispositif « Girardin » sur la location des yachts dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'Outre-mer, considérée comme un investissement ouvrant droit à une réduction de l'impôt sur le revenu (Article 199 undecies B du Code général des impôts).

Mesures inspirées par la proposition de loi déposée par le Parti de Gauche pour une autre fiscalité écologique

Haut de page