mercredi 27 mars 2013

J'étais à Tunis (et j'y suis presque restée)

"Tunis" par Holden

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48.jpgMon premier aperçu de Tunis l'aura été des embouteillages, sous le soleil chaud du printemps tunisien, dans une curieuse ambiance entre drapeaux et barbelés. Après avoir renoncé à nous accréditer sous la tente bondée et brûlante de l'avenue Bourguiba, nous arrivons enfin à la faculté el Manar située au Nord de Tunis, avec Christophe Ventura et Doug Estevam. A nous trois nous formons une jolie délégation politico-amicale combinée de Parti de Gauche, Mémoire des luttes et Mouvement des Sans Terres Brésilien. Dans les allées du campus nous voilà donc rendus sur le lieu du FSM 2013. Entre la préparation d'un hommage à Chavez, les retrouvailles altermondialistes et la recherche de badges qui nous font courir de stand en tente sous un soleil de plomb... Beaucoup de Tunisiens bien sûr, de Marocains, de Français mais aussi de Brésiliens sont attendus ici. On y entend la musique de toutes les langues du monde. La foule est bruyante, joyeuse et colorée. Ça me fait d'autant plus bizarre de voir des badges Ennahda et des femmes voilées jusqu'aux pieds, gants aux mains, dans un forum social mondial dont le mot d'ordre cette année est dignité.

53.jpgNous sommes venus y représenter le Parti de Gauche, participer au Forum des parlementaires avec nos camarades du Parti de la Gauche Européenne, à l'espace climat ou encore au forum des medias libres.
Avec Doug, dans la file d'attente nous discutons de l'expérience en cours des coopératives communales au Vénézuela, de l'articulation entre pouvoirs locaux et de l’État. Christophe juste à côté de nous s'entretient avec une représentante communiste syrienne et son interprète, sur l'état de la situation là bas. Elle nous explique pourquoi nous devons aider à armer les laïcs de gauche syriens. Stupéfiant qu'on en soit arrivés là. Stupéfiant et dramatique.

43.jpgNous récupérons enfin nos badges, et je m'amuse d'y retrouver sous forme de logo un cousin du mégaphone du NPA et une frise qui rappelle étrangement celle du Place au Peuple du Front de Gauche. Nous arpentons les allées du FSM qui se met doucement en place. Je tente de me connecter à la wifi de la fac, sans succès. Finalement c'est aussi bien. J'avoue que les dernières nouvelles lues de l'hôtel, sur twitter et internet, m'ont convaincue que j'étais mieux à Tunis. Déconnectée, loin des remugles de l'insultante polémique qui nous a été faite sur Moscovici, avec quelques heures devant moi pour m'aérer l'esprit des querelles et tensions de toute sorte, prendre un peu de repos sinon physique du moins de recul après notre Congrès si dense. Revenir au contenu de ce que nous faisons, se souvenir de pourquoi nous le faisons, en se frottant à l'ailleurs. Faire un pas de côté.

8.jpgA la marche de l'après midi qui marque l'ouverture du Forum, il y a de quoi me combler en matière d'horizons. J'y passe deux heures au pas de marche, à courir le sourire aux lèvres d'un point à l'autre de la manifestation pour enregistrer slogans, drapeaux et chants. Marche mondiale des femmes, syndicats d'étudiants et de chômeurs, mouvements de défense des droits de l'homme, opposants aux grands projets inutiles et imposés... Il y a du monde, et je retrouve dans la foule des têtes connues du PCF, d'EELV, des Alternatifs, de Solidaires, de Notre Dame des Landes, Utopia, Politis, Bastamag, Transform, Attac... Le dépaysement n'est pas total finalement. Je retrouve même, surprise et ravie, les échos assourdissants du « On lâche rien » de HK au détour d'un cortège de motivé-e-s défilant sous les palmiers.

19.jpgPlaisir de me perdre dans les ruelles de Tunis à la tombée de la nuit en suivant les rails d'un tramway, heureuse de trouver un peu de solitude et de calme... Je rentre enfin à l’hôtel épuisée, rêvant d'une douche brûlante. Un rêve... Nous repartons illico avec Christophe et Alain Billon, notre responsable Maghreb-Machrek qui vient de nous rejoindre à Tunis. Des député-e-s de l'assemblée constituante tunisienne et leurs camarades du parti al Massar nous attendent. Le jour des funérailles de Chokri Belaïd, leurs locaux ont été attaqués.

C'est là que nous sommes reçus, au siège qui regroupe à la fois les bureaux du parti et son journal. Ils ont pour voisin de porte la mosquée al Fatah, investie par les salafistes dans les années 90, devant laquelle on vend ce soir des produits aphrodisiaques sur deux planches et un tréteau. Surréaliste.


46.jpgIls souhaitent discuter avec nous du manifeste pour l'écosocialisme que nous leur avons remis à l'occasion du Congrès du PG, auquel ils étaient naturellement présents en compagnie de 75 délégations internationales, et qui est en cours de traduction en arabe. Les préoccupations écologiques sont très développées ici. Pas tant en termes de représentation politique en tant que telle : il y a bien deux partis « verts », mais ils restent très marginaux. En revanche, il existe une cinquantaine d'associations actives, composées de beaucoup de jeunes. Les mouvements protestataires du bassin minier de Gafsa, d'où est partie la révolution citoyenne, mêlaient déjà revendications sociales, sur les conditions de travail et les salaires, mais aussi environnementales : l'industrialisation forcenée a provoqué de vrais scandales en termes de pollution et de santé, un peu partout dans le pays. Notre interlocutrice nous explique qu'il y a déjà "des victimes dans toutes les familles ».

31.jpgLa chimie, les mines, le productivisme : elle nous assure que les tunisiens sont largement sensibilisés et politiquement prêts pour l'écosocialisme. Du coup, quand Shell a voulu venir exploiter les gaz de schiste, ils se sont retrouvés face à un vrai barrage populaire et médiatique. D'autant que la question des services publics et du retour à un Etat social fort et d'une stratégie de planification font aussi partie des revendications portées par la révolution. Nos camarades d'al Massar se définissent d'ailleurs eux mêmes comme proche des alternatives « rouge-verte » françaises.


38.jpgNous échangeons beaucoup bien sûr aussi sur la situation politique en Tunisie et sur les processus d'alliances en cours pour les prochaines élections. Celles ci devraient avoir lieu, officiellement, entre le 21 octobre et le 22 décembre prochains, mais le calendrier reste très incertain. Il va beaucoup dépendre du bon déroulement de la constituante, qui semble-t-il patine. Les députés que nous rencontrons nous font part de la stérilité de certains débats, et de leur crainte de voir remis en cause les acquis de la Tunisie moderne et les objectifs de la révolution. Eux sont partisans d'un large front républicain pour faire barrage aux islamistes. Des discussions sont en cours entre l'Union pour la Tunisie, rassemblement de cinq composantes, et nos camarades du Front populaire tunisien, qui rassemble lui aussi douze organisations. Imaginez... Et croyez moi, à côté, le Front de Gauche est un océan de simplicité et de béatitude.

49.jpgLe défi auquel font face nos amis tunisiens est à l'image de la situation, inédit. Un de nos interlocuteurs nous invite à réfléchir à ce que nous ferions si le pen était au pouvoir en France. Leçon d'humilité... Du coup, la réunion que nous sommes en train d'organiser nous mêmes à l'occasion du FSM sur l'écosocialisme avec nos partenaires du Maghreb devient un joli exercice de diplomatie. Mais même si le contexte est incomparable nous apportons notre pierre : l'expérience du Front de Gauche, notre soutien... Et le Manifeste du projet écosocialiste que Jean Luc Mélenchon est déjà venu présenter ici même à Tunis il y a quelques semaines avant de s'envoler pour l'Algérie et le Maroc.

Je ne pourrai pas rester à Tunis, rappelée à la Région Rhône Alpes pour cause de plan climat. A l'aéroport, je me reconnecte, je n'aurais pas du. Fermer les yeux, inspirer longuement, reprendre un peu de parfum de Jasmin...

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