vendredi 31 mai 2013

En direct de Rhone Alpes (6) : Transition énergétique, drogue dure et sobriété

DNTE_logo.jpgSession des 30 & 31 Mai 2013

Débat National sur la Transition Énergétique : « Quel mix énergétique : choix en matière d'énergies renouvelables et production »

Intervention de Corinne Morel-Darleux pour le Groupe Front de Gauche : communistes, Parti de Gauche, Gauche Unitaire & partenaires


Cher-e-s collègues,

L'humanité a atteint ce 9 mai 2013 un record absolu en matière de concentration de gaz à effet de serre : nous avons atteint 400 parties par million (ppm) pour la première fois dans l'histoire de l'étude de cette variable, et la menace de fonte totale et rapide de l'Arctique sort du cauchemar pour devenir une probabilité. C'est d'autant plus grave que le dérèglement climatique n'est pas un phénomène linéaire, mais un emballement. C'est à dire à peu près la différence entre une courbe linéaire et une courbe exponentielle. Prenons les glaciers du Canada : selon une étude publiée le 7 mars dernier, les prévisions actuelles de réchauffement entraîneraient une fonte de 20% des glaciers d'ici 2100, entraînant à leur tour une perte de surface de réfléchissement qui entraînerait à son tour une hausse de 3°C qui entraînerait une élévation du niveau de la mer de 3,5cm qui entraînerait à son tour une accélération fonte des glaciers qui entraînerait une nouvelle hausse des océans de 20cm etc. J'arrête là, vous avez compris je crois.

Alors oui, il est temps de se réveiller. Et on dirait bien que ça commence à frémir, puisqu'à l'occasion de la journée citoyenne du 25 mai, 74% des sondés ont affirmé que la transition énergétique était une urgence. Cette urgence est donc de plus en plus partagée, et pourtant des décisions y compris gouvernementales continuent d'être prises en dépit du bon sens et sans attendre les conclusions du débat. Cela tient je crois à un défaut de méthode largement répandu dès lors que l'on parle d'énergie, qui consiste à focaliser sur la production au lieu de parler de la consommation.

Or il faut bien, en ce sujet comme en tant d'autres, repartir des besoins humains et de ce qu'on appelle valeur d'usage. En matière de mix énergétique, ça change tout  : De quoi avons nous besoin ? De nous déplacer, de nous loger et de nous chauffer, de nous alimenter. Où pouvons nous économiser ? Sur l'illumination des vitrines et les écrans de publicité, sur la déperdition énergétique. Par exemple. Et c'est seulement une fois qu'on a établi les besoins et les économies possibles, qu'alors on peut se pencher sur la production pour répondre aux besoins restants. Au contraire, le DNTE fixe d'emblée comme objectif une part du nucléaire à 50% en 2025, mais cet objectif ne veut rien dire : augmente-t-on le nombre de centrales, le réduit-on ? Prolonge-t-on leur durée de vie ? A 50%, tout dépend de la consommation totale d'électricité. Cela ne peut pas être la porte d'entrée du débat. Cela d'ailleurs conduit de nombreuses associations, échaudées par le Grenelle, à en sortir. C'est pourquoi nous demandons au Front de Gauche un référendum sur ce sujet depuis deux ans déjà. Parce que c'est un sujet essentiel, avec des enjeux cruciaux, qui nous concerne toutes et tous, et que chacun-e doit pouvoir s'exprimer en votant.

Mais enfin, nous voici dans ce cadre du DNTE. Et je me réjouis que la Région ait fait le choix du scénario Negawatt en développant des actions à la fois de sobriété, d'efficacité énergétique et de développement des renouvelables depuis des années. Mais attention, le terme de « renouvelable » tout comme l'adjectif « vert » ne sont pas des sésames. Pas si c'est pour prendre sur des terres agricoles nourricières, pas si c'est pour faire travailler des salariés dans des conditions indignes à l'autre bout du monde, pas si c'est pour piller les terres rares ou le lithium des déserts salins de Bolivie... Et puis, Veolia, Suez, Total et Vinci savent aussi très bien vendre du « vert » et du renouvelable. Mais sans investissement de long terme et sans vision de l'intérêt général. Leur intérêt à eux est de vendre de l'énergie, ne nous y trompons pas. Alors pardon, mais si on veut réduire les consommations inutiles, on ne peut pas se mettre nous-mêmes en situation de devoir aller gentiment demander aux multinationales privées de bien vouloir réduire leurs ventes et leurs profits ! Donc encore faut-il : un, que ces énergies renouvelables viennent en substitution des fossiles, et deux : en garder la maîtrise publique et que les énergies, quelles qu'elles soient, puissent être placées sous contrôle citoyen.

C'est pourquoi les signes envoyés aujourd'hui par le gouvernement sur l'ouverture à la concurrence des concessions de barrages hydrauliques ou les annonces de privatisation accrue d'EDF et de GDF en plein DNTE nous inquiètent quant aux conclusions du débat. C'est aussi le cas du débat sur le projet d'enfouissement CiGéo à Bure, lancé avant les conclusions du DNTE et alors qu'il semble receler un fort potentiel géothermique. Nous ne pouvons qu'être inquiets également du discours porté par le conseil européen qui a, lors du sommet du 22 mai, rouvert la porte à l'exploitation du gaz de schiste. Et ici, en Rhône-Alpes, de l'avis du CESER qui semble s'engager dans la même voie ! Rappelons qu'en Rhône-Alpes seuls deux permis de recherche d’hydrocarbure ont été abrogés, quatre sont encore actifs ; quatre demandes ont été rejetées (le sont-elles définitivement ?) et trois sont toujours en cours d’instruction. Or attention : le problème posé par les GDS ne concerne pas que la technique de fracturation, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre, et notamment d'un des pus puissants d'entre eux, le méthane. Sans compter que l'illusion de réserves abondantes d'hydrocarbures non traditionnels est le meilleur moyen d'être sûr de continuer comme avant sans réfléchir le changement...

Il est pourtant urgent de se désaccoutumer : les énergies fossiles ont fonctionné comme une drogue dure du capitalisme industriel, qui s'est développé grâce à une énergie abondante et à bas prix. Mais on a oublié au passage que ces ressources naturelles, qui pour certaines ont mis des millions d'années à se transformer, ne sont pas inépuisables. Et qu'on y a déjà que trop puisé. Selon l'AIE, le pic de pétrole a été atteint en 2006. Alors oui, on pourrait décider de continuer à forer, racler le sable et faire des trous partout. Mais le climat nous rappelle que ce n'est pas la solution. Car en exploitant de nouvelles sources d'énergie fossile, on aggrave les émissions de gaz à effet de serre et le dérèglement climatique. Il n'existe pas de solution magique. Il n'y a pas d'énergie propre. Mais on peut limiter les dégâts. On en a le devoir.

C'est pourquoi nous nous réjouissons des actions volontaristes de la Région en faveur de l'initiative Yasuni ITT, pour développer l'éolien et le photovoltaique, je pense bien sûr au cas des salariés de Bosch qui ont su reconvertir la production et doivent aujourd'hui être soutenus. En faveur encore du bois d’œuvre et la protection des forêts comme source de stockage de carbone, des petites unités locales d'hydraulique et de biomasse ou encore pour aller vers une agriculture paysanne moins consommatrice d'intrants pétrochimiques. Au niveau national, en matière de mix énergétique, nous regrettons en revanche que l'effort public et la recherche ne soient pas plus orientés vers le potentiel de la géothermie et les énergies de la mer.

En conclusion, pour réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre, réaliser 20% d'économies d'énergie et porter la part des énergies renouvelables à 20% de la consommation en 2020, il y a nécessité absolue de changer en profondeur nos modes de production et consommation. C'est pourquoi je veux finir en rappelant qu'un tel débat ne pourra faire l'économie de la critique de notre système productif ni faire l'impasse sur la définanciarisation de l'environnement, avec le refus des mécanismes financiers et de la Bourse du CO2 qui a largement démontré son inefficacité.

Parce que l'énergie n'est pas une marchandise, elle est, comme l'eau, nécessaire à la vie. Et que conjuguer environnement et social, c'est ça l'écologie - ou si vous préférez le "développement durable", du moins c'est ce qu'il était initialement. Souvenons-nous en.

Haut de page