mardi 11 février 2014

Beignets d'huitres et Abenomics • Ecosocialisme au Japon, épisode 6 #エコソシアリズム

MeijiGakuinNeige.JPGJ'ai pris un retard fou dans mes récits, les heures filent à une allure vertigineuse ici, comme si le temps était happé. Je me pose enfin pour  reprendre mon clavier et le fil de mon récit plus longuement, plus personnellement aussi. En fait je pourrais presque en écrire un roman.

Comme prévu vendredi a été une journée très dense, et samedi nous avons eu une improbable tempête de neige, comme le Japon n'en avait pas connu depuis un demi-siècle. J'avais de la neige jusque dans ma petite chambre, il a fallu me calfeutrer. Mais cela ne nous a pas empêchés de tenir la conférence prévue samedi matin sur l'écosocialisme à la Meiji Gakuin University, malgré la circulation perturbée, et ce matin le soleil était revenu.


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Après avoir fini jeudi de récupérer du décalage horaire, linguistique et culturel, en trainant dans les quartiers de Shibuya et d'Akihabara entre machines électroniques et boutiques de manga, vendredi j'ai eu ma première belle nouvelle de la journée : j'ai trouvé "mon" café du matin.

Un petit endroit avec des bancs en bois, calme et fumeur, tenu par une vieille dame charmante qui sert des toasts à l'omelette délicieux avec un café noir. Parfait. Me voilà libérée du poisson frit au petit déjeuner. Et en y retournant ce lundi après la fermeture hebdomadaire, je n'ai déjà plus besoin de commander, café et omelette toastée m'accueillent dès mon arrivée. Comme un doux sentiment de chez soi.

metro_tokyo.JPGLe métro de Tokyo n'ayant plus de secrets avec mon pass Suica (dire que j'ai toujours refusé le suivi à la trace du pass Navigo), je suis allée faire un tour ensuite du côté du quartier chic de Tokyo, à Ginza, le temps de relire mes notes et de réviser posée dans un autre café en prévision de mes premières rencontres officielles. Vocabulaire de salutations de base, histoire de ne pas paraitre complètement mal élevée. Et derniers articles sur les Abenomics, ces mesures du Premier Ministre Shinzo Abe, au croisement entre l'austérité libérale que nous connaissons en France et une relance de l'activité par la demande empreinte de Keynésianisme.

Un curieux mélange, qui permet à Abe de réclamer d'un côté une hausse des salaires au moment des négociations salariales avec le patronat, tout en prévoyant une hausse de la taxe sur la consommation, équivalent de notre TVA, qui passera de 5 à 8% en avril. Ce grand écart difficile à comprendre de France s'explique en partie, comme me l'a confirmé un de mes interlocuteurs du Parti communiste japonais, par la tradition japonaise de paix sociale, où même les libéraux les plus acharnés ont semble-t-il toujours considéré que la justice sociale, un minimum de répartition des richesses et des inégalités maintenues à un niveau raisonnable, étaient aussi des conditions sine qua non de la compétitivité.

MakotoSan.jpgC'est un des nombreux sujets que nous avons abordés vendredi au cours de mon déjeuner avec Makoto Katsumata, de l'International Peace Research Insitute et des Amis du Monde Diplo au Japon. C'est grâce à Makoto-san, avec qui j'ai été mise en relation par mon ami Christophe Ventura, que j'ai pu organiser ma visite dans la zone rouge de Fukushima demain. Lui encore qui vendredi midi m'a permis de découvrir les huitres en beignet. C'est idiot mais je me suis sentie plus à l'aise de tester ça accompagnée par un Japonais. Et ça n'y parait peut-être pas, mais c'est une expérience sensorielle majeure, et mine de rien, un nouveau point commun entre les peuples français et japonais. Je ne suis pas sûre qu'il y ait tant d'endroits au monde où on ne regarde pas de travers les huitres servies dans une assiette.

J'ai pris un vrai coup d'apprendre le lendemain à mon arrivée à la Meiji Gakuin University que Matoko-san qui m'avait guidée, conseillée, et avait tout organisé, ne pourrait pas venir et qu'il était à l’hôpital. Une des victimes de la tempête de neige, j'ai su plus tard qu'il avait glissé et s'était cassé le genou. Mais sur le coup, sans informations, c'est étrange la fatigue et le décalage m'ont sans doute fait surréagir, je me suis sentie très esseulée soudain et suis redescendue me fumer une clope sous la neige avant de pouvoir assurer la conférence.

Diete.jpgMais je vais trop vite, on est encore que vendredi et je déjeune encore avec Makoto. On bavarde en français, ça fait du bien. Du Monde Diplo, de Mémoire des Luttes pour lequel je vais bientôt tenir une chronique hebdomadaire sur le thème de la mer, à ma manière. Du Vénézuela, de mon premier séjour là-bas en amont du Sommet de Copenhague avec Hervé Kempf, Bernard Cassen et Christophe Ventura, et de la campagne de Chavez à laquelle j'étais allée participer une seconde fois à Caracas. De décroissance aussi, Makoto me parle de Serge Latouche et de Paul Ariès, et puis de nucléaire bien sûr, thème omniprésent dans toutes mes rencontres ici. Je lui passe un autocollant du Parti de Gauche "Vite, sortir du nucléaire !" pour son bureau. Le même que la sénatrice du PCJ, Kira Yoshiko, arborera le soir même au rassemblement antinucléaire devant la Diete.

Il y a des slogans qui unissent au-delà des frontières... Demain, je vais à Fukushima.

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