lundi 20 mai 2013

Retour des Glières : Construire un nouveau CNR en intégrant la dimension écologique, une lecture contemporaine des Jours Heureux

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J'étais invitée au rassemblement annuel des "Citoyens et Résistants d'hier et d'aujourd'hui" au plateau des Glières les 18 et 19 mai derniers. Des années que je crevais d'envie d'y aller.

Et je n'ai pas été déçue. Diable, ce fut riche... Le dimanche matin, nous nous sommes retrouvés avec mes camarades élus FDG de Rhône Alpes sur le plateau des Glières sous une averse de neige fondue pour écouter, transis sous nos cirés mais émus, les témoignages venus de Notre Dame des Landes, d'Olivier Leberquier des Fralib et des résistants d'hier, très virulents sur la politique actuelle.

-Photos-0026.jpgTous ont dénoncé les promesses non tenues du Président Hollande, fustigeant notamment la politique menée par le Ministre Valls vis à vis des Roms, et rappelant la disparition du terme de "race" votée tout récemment grâce aux parlementaires du Front de Gauche.

La veille, sur le lieu des débats dans le village de Thorens Glières, j'avais déjà eu le plaisir de retrouver sous les chapiteaux Alexis Corbière avec mes camarades du PG, pour certains venus du Rhône, mais aussi des camarades de lutte comme Daniel Ibanez, du collectif d'opposants au Lyon-Turin.


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Plaisir également de retrouver Aurélien Bernier avec qui nous n'avons pas manqué d'échanger sur les questions européennes et son prochain bouquin, et de faire la connaissance autour d'un repas de Michel Warschawski, venu directement d'Israël.

Avec cette figure du combat militant et pacifiste de la gauche israélienne, nous avons pu échanger sur la délégation du PG en Palestine à laquelle j'avais participé et sur les élections en cours dans la 8e circonscription des français de l'étranger pour laquelle j'étais à Rome il y a quelques jours, et qui englobe également Israël. Des moments fugaces mais précieux.

-Photos-0015.jpgBeaucoup discuté également avec Hervé Kempf sur la question des médias qui a beaucoup orienté nos débats. C'est ainsi qu'en compagnie de Gilles Perret, le réalisateur des Jours Heureux et de l'infatigable François Ruffin du journal Fakir, j'ai présenté la démarche écosocialiste du PG et proposé dans un Forum ouvert de témoignages et contributions, qu'on interdise aux vendeurs de béton et marchands d'arme dépendant de commandes publiques, d'être actionnaires dans des entreprises de presse.

J'avais déjà développé cette proposition en lien avec la question du consumérisme et de l'écologie dans le Forum précédent, animé par Thierry Brun de Politis, où j'avais été invitée à débattre de la manière dont le programme du CNR « Les jours heureux », adopté en 1944, devrait aujourd'hui intégrer la dimension écologique. Un très beau débat avec Hervé Kempf et Jérome Gleize suivi par 350 personnes et qui s'est vite orienté vers la nécessité d'une majorité alternative et la question de l'alliance entre le Front de Gauche et EELV. Je vous en dirai plus très vite là dessus sur Reporterre ;)

Voici le texte de mon intervention (en format pdf)

photo_2.JPGTout ceci a été l'occasion de me replonger dans la lecture de ce texte essentiel du programme du Conseil National de la Résistance que je n'avais pas relu depuis longtemps. J'ai été frappée dès le titre par l'écho entre les « Jours Heureux » du CNR et le « Buen Vivir » de l'écologie politique. Ce bien vivre de la qualité plutôt que la quantité, de la satisfaction des besoins réels plutôt que des attentes générées par la mode et la publicité. Frappée par l'actualité du texte, même si évidemment le 15 mars 1944 la situation n'était pas la même. Frappée par le fait qu'à l'époque et malgré le fait que ce texte résulte d'un long compromis, on parlait cru et dru... Et Diable, on ne craignait pas de parler de nationalisation, de souveraineté nationale, de plan de production ni de paraître dirigiste ! (sourire)

Il y a dans ce texte de nombreux aspects sociaux et économiques avec lesquels nous nous sentons évidemment très proches au Front de Gauche, quand on lit par exemple sous la plume du CNR qu'il faut assurer la « subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général », évidemment ça nous parle ! Et je me suis rendue compte qu'en définitive l'écologie politique, celle qui va bien au-delà de la seule question environnementale et y adjoint systématiquement la question sociale, était finalement bien présente dans ce programme du CNR. Aujourd'hui on parlerait je pense d'écosocialisme, c'est à dire précisément d'un projet actualisé qui combinerait à la fois l'héritage de la gauche sociale, redistributrice et émancipatrice mais débarrassée du productivisme qui consiste à produire n'importe quoi n'importe comment pourvu que ça se vende sur le marché, et le meilleur de l'écologie, c'est à dire à notre sens l'écologie anticapitaliste qui ne se contente pas de peinture verte mais va à la racine des causes. Cet écosocialisme, nous avons commencé à le définir avec la participation de citoyens, de personnalités, syndicats, associations et organisations politiques en un Manifeste de 18 thèses, qui finalement ressemble beaucoup à un programme des Jours Heureux revisité à l'aune de l'écologie, c'est à dire de la préservation de la biosphère et des conditions même de la vie humaine sur terre.

Car celles-ci sont aujourd'hui gravement menacées par le dérèglement climatique, la perte de biodiversité, les problèmes de santé liés à la pollution de l'eau, de l'air et des sols, et l'aveuglement total des dirigeants de la planète. Le programme du CNR ne mentionne pas bien sûr ces urgences environnementales, on est en 1944... Mais il parle bien de « féodalités », là où nous disons aujourd'hui « oligarchie » pour décrire cette minorité faite de collusions d'intérêts politique, médiatique, financiers et économiques. Incapable de réfléchir à long terme, incapable de prendre en compte l'intérêt général humain, et qui continue à prélever sur la Terre plus que ce qu'elle n'est capable de régénérer. En 1986, à l'échelle mondiale cette limite était atteinte le 31 décembre. En 2011 c'était le 27 septembre. Et en 2012 nous aurions du nous mettre en hibernation totale dès le 22 août. Cette date doit revenir au 31 décembre, et l'ensemble des politiques publiques doit tendre vers cet objectif. C'est ce que nous appelons la règle verte et que nous proposons d'inscrire dans une nouvelle constitution, elle pourrait figurer en chapeau de ces nouveaux Jours Heureux.

photo_3.JPGDans ce programme du CNR, il y a deux parties : un plan d'action immédiate et mesures à appliquer dès la Libération. En écologie aussi, il y a ce qu'on peut faire immédiatement sans attendre : résistances, occupation, réquisitions et alternatives concrètes. Le programme du CNR parle de « lutte quotidienne et incessante par des pétitions, manifestations et grèves »... On n'en est pas loin aujourd'hui tant il faut se battre sur tous les fronts. Mais c'est précisément la multiplication et la solidarité entre ces luttes qui permet aussi la constitution de réseaux. C'est ce qui se passe à la ZAD de Notre Dame des Landes, et ses répliques un peu partout en France, jusqu'à Avignon, c'est le combat des salariés de Fralib dans les Bouches du Rhône pour reprendre en coopérative leur entreprise de thés et l’approvisionner en circuits courts. Et ça aussi c'est dans le programme du CNR quand il parle de « coopératives » et de « participation des travailleurs à la direction de l'économie ».

Et puis, il y a les mesures, le programme, qui nécessitent pour être mis en œuvre d'avoir aussi une stratégie de conquête du pouvoir par le peuple et pour le peuple, ce que nous appelons au Front de Gauche révolution citoyenne, à l'instar des processus qui ont eu lieu en Équateur, au Venezuela ou en Bolivie. Concernant ce programme, dans celui du CNR, il est déjà question de paysans et de politique de prix rémunérateurs, de faciliter l'accession pour les jeunes familles paysannes... Ce qui rejoint ce qu'on appelle aujourd'hui souveraineté alimentaire et ceintures maraichères, les circuits courts pour éviter les marges prédatrices de la grande distribution, les combats pour défendre les terres agricoles contre le bétonnage, ou encore les initiatives de Terres de lien par exemple pour faciliter l'installation de jeunes paysans.

De même, quand on lit « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie », on pense nationalisations et pôle public de l'énergie. Quand on lit encore « incluant les richesses du sous sol », on ne peut s'empêcher de penser à la lutte contre l'extraction des gaz de schiste. Voilà qui permet au passage de rappeler à celles et ceux qui poussent des hauts cris quand on parle de nationaliser EDF, GDF et Areva, que la nationalisation du gaz et de l'électricité n'est pas un fantasme révolutionnaire : elle a été mise en œuvre en 1946. Et si on veut réaliser la bifurcation énergétique qui permettra de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et d'arrêter le nucléaire, on aura bien besoin d'en avoir la maîtrise publique et de replacer le tout sous contrôle citoyen ! Hélas, le gouvernement actuel annonce au contraire qu'il veut accélérer la privatisation enclenchée en 2007 et 2009 d'EDF et GDF, en plein débat national sur la transition énergétique... Il va donc falloir aller demander gentiment en levant le doigt aux multinationales privées de bien vouloir nous aider à réduire nos consommations, donc leurs ventes et leurs profits ? Ce n'est pas sérieux.

photo_4.JPGLe programme du CNR parle également d’impôt progressif, dans la tradition de gauche de répartition des richesses. Je voudrais en dire un mot, car cette question économique et sociale est en réalité très liée à l'écologie, à travers notamment le RMA, le revenu maximum autorisé. Contrairement à beaucoup d'autres domaines de politiques publiques qui nous sont désormais dictés par la Commission européenne, la fiscalité reste du ressort des États. Il est donc tout à fait possible de mener en France une grande réforme fiscale, comme nous le proposons, avec onze tranches progressives et une tranche supérieure où l'on taxerait à 100% au delà de 360.000 euros, soit vingt fois le revenu médian. C'est une mesure sociale, bien sûr, mais aussi environnementale. Je vous invite à lire à ce sujet « Comment les riches détruisent la planète » d'Hervé Kempf, qui montre bien en quoi le mode de vie des plus riches doit être régulé fortement pour arrêter les dégâts causés à la fois par leurs yachts et jets privés, et par la course à la consommation matérielle que cet exemple induit chez les classes moyennes et populaires.

Car il s'agit aussi en matière d'écologie de décoloniser l'imaginaire, de se désaccoutumer des modes et du bling-bling, du discours dominant qui passe en grande partie par les medias qui sont aujourd'hui le principal véhicule idéologique du système libéral et consumériste. A cet égard également, les Jours Heureux sont très modernes, en réclamant je cite : « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Quand on sait que le vendeur de béton Martin Bouygues possèdent également TF1 et LCI ; l'avionneur Serge Dassault, le Figaro ; le marchand d'armes Arnaud Lagardère (EADS) : Le Monde, Europe 1, JDD et Paris Match etc… Et que tous sont milliardaires. A quand l'interdiction pour les entreprises qui dépendent des commandes publiques d'être actionnaire majoritaire de presse ? Ça ce serait de la vraie moralisation de la vie publique !

Toujours en matière de lutte contre l'idéologie dominante et de consumérisme, l'appel pour les 60 ans des Jours Heureux, en 2004, précisait d'ailleurs les choses en appelant à l' « insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande... ». Là encore, on ne peut s'empêcher de penser aux actions de désobéissance non-violente du Clan du néon ou des Déboulonneurs contre l'emprise de la publicité dans l'espace public. L'association Résistance à l'agression publicitaire vient d'ailleurs, à l'occasion de la marche citoyenne du 5 mai pour une 6e république, de sortir un tract demandant d'inscrire la liberté de réception (et de non-réception, donc) de la publicité dans la Constitution.

photo_1.JPGCe qui me permet de faire le lien avec mon dernier grand point, celui de la démocratie et de la souveraineté populaire. Le programme du CNR en appelle au suffrage universel... Quel rapport avec l'écologie ? Tout simplement que, de plus en plus, la démocratie directe est aussi une revendication centrale des combats écolos. Parce que, de plus en plus, elle est bafouée. Aujourd’hui les grandes décisions en matière d’énergie et d’aménagement du territoire n’impliquent pas ou peu les citoyen-ne-s. Pire, elles s’élaborent souvent dans l’opacité la plus totale ou en refusant d’entendre les mobilisations populaires. On le constate chaque jour à travers ce qu'on nomme désormais les Grands Projets Inutiles Imposés (GPII) : projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, lignes à grande vitesse comme le Lyon-Turin, construction de l’EPR de Flamanville, lignes THT et site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure... Ce sont aujourd’hui autant de symboles de la confiscation de la souveraineté populaire et de projets qui accaparent l’argent public, en totale contradiction avec les discours austéritaires ! D'autant que les scandales financiers et les confits d’intérêt ne se cantonnent pas aux paradis fiscaux et autres banques suisses. Des soupçons de corruption planent sur les agissements d’Areva au Niger ; des conflits d’intérêts pointent l’entreprise Vinci ; la puissance des lobbies pétroliers et pro-gaz de schiste se confirme chaque jour.

Un programme des Jours Heureux incluant la bifurcation écologique de nos sociétés devrait donc également y inclure la refondation des institutions de la République, l'indépendance des médias, la définanciarisation de l'environnement, la reconnaissance des biens communs. Pour conclure, sur ce sujet : je reviens de Rome où je suis allée présenter le Manifeste pour l'écosocialisme. J'y ai rencontré le collectif qui occupe le théatre Valle en autogestion depuis deux ans. Ils ont lancé une constituante des biens communs après le succès du référendum sur l'eau Italien de 2011. Et comme on m'a demandé également de proposer la rédaction d'un article, voici ce que j'aimerais voir inscrit dans de nouveaux Jours Heureux : « Sont considérés comme biens communs ne pouvant faire l'objet d'aucun enrichissement privé, et sont donc replacés sous la souveraineté du peuple par la propriété publique et le contrôle citoyen : l'eau, l'énergie, la santé, l'éducation et le rail ; l’État se faisant le garant de l'égalité d'accès universelle à ces biens, dont les usages nécessaires à une vie décente seront rendus gratuits pour tous les résidents sur le territoire français. »

Le programme du CNR parlait d'un projet de société « gage de confiance et stimulant ». Il est essentiel aujourd'hui de redonner espoir en effet, de donner à voir une alternative, pour que la colère qui monte partout ne bascule pas du côté de la haine. Amis, croyez-moi, on fait tout pour.

Photos : d. et Daniel Baiguini

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